✍ 20 siècles en cathédrales [2001]

por Teoría de la historia

$T2eC16NHJF0E9nmFQi(yBRC!el)PbQ~~60_12Le projet de la manifestation intitulée 20 siècles en cathédrales se situait dans la perspective qu’une pensée de l’histoire et du patrimoine en France s’attache toujours un moment ou à un autre à la cathédrale. D’autres expositions avaient déjà abordé ce thème. En 1965, l’exposition Trésors des églises de France organisée par Jacques Dupont et Jean Taralon regroupait des ivoires, des objets d’orfèvrerie et des textiles précieux anciens provenant en grande partie des cathédrales. Plus récemment, en 1989, Roland Recht et les musées de Strasbourg organisaient une remarquable présentation des Bâtisseurs des cathédrales où se trouvaient regroupés les documents d’architecture les plus précieux et les plus importants d’Europe. L’exposition de Reims souhaitait apporter un autre regard en tentant de livrer un panorama élargi sur le plan d’histoire à travers des maquettes, objets d’art, tableaux et vitraux. L’âge d’or des cathédrales que fut la période gothique et son influence n’ont certes pas été négligés mais la pensée de la cathédrale et les études qui lui ont été consacrées ont beaucoup évolué. On connaît mieux les premiers sites paléochrétiens, qui ne remontent guère en deçà du IVe siècle, et l’importance des constructions carolingiennes; les éléments romans bien souvent disparus ou peu visibles sont revisités par les fouilles et les études récentes. Et les cathédrales à l’âge classique ou au XIXe siècle ont maintenant fait l’objet de recherches. L’exposition et l’ouvrage qui l’accompagne ont donc cherché à couvrir ce large champ historique et patrimonial abrité par les cathédrales jusqu’à aujourd’hui. La volonté d’organiser l’exposition 20 siècles en cathédrales au palais du Tau, palais archiépiscopal d’une des plus grandes cathédrales de France, s’imposait à plusieurs titres. Il s’agissait d’abord d’en faire une exposition de site et, par là, de mieux souligner la richesse des cathédrales de toutes les régions. Ce choix permettait aussi de rendre compte de ce lieu très étroitement lié à la cathédrale qu’est Reims puisque le palais du Tau abrite le trésor et ses tapisseries ainsi que les sculptures déposées. Les visiteurs, entourés de hautes effigies du décor de Reims et de ses grandes tentures, étaient mieux à même d’appréhender l’importance de ces grands décors monumentaux qu’il était évidemment impossible de faire venir d’autres cathédrales. La pensée d’une manifestation de site permettait également de mieux comprendre le choix de n’exposer que des objets conservés dans les cathédrales. Certes, leur histoire passe aussi par les œuvres présentées dans les musées. Sans les ignorer, il a paru plus démonstratif, pour une manifestation traitant du « phénomène cathédrale » au pied même d’une cathédrale si importante dans l’histoire de France, d’insister sur les richesses que ces édifices possèdent encore et que l’on peut voir directement sur place. Pour la première fois ont été réunies de nombreuses maquettes anciennes permettant d’appréhender la célébration de la silhouette symbolique de la cathédrale en même temps que son évolution architecturale au cours des siècles. De la haute maquette historique de Sainte-Croix d’Orléans, présentée à Louis XV par Gabriel, à celle de Mario Botta cherchant à trouver un autre volume de référence à É vry, en passant par les modifications classiques, les reprises néo-romanes et le rationalisme de la cathédrale idéale de Viollet-le-Duc, c’est bien toute l’expression architecturale et symbolique engendrée par le volume cathédral qui s’impose. Mais la cathédrale ne peut exister sans les hommes. Et c’est à ces fondateurs, ces saints évêques, ces chanoines, ces princes, ces rois, ces membres des confréries que l’exposition a aussi voulu rendre vie, à travers des objets insignes liés à leur autorité, à leur légende ou à leurs actions, et en particulier des objets mythiques donnant lieu à un culte particulier, comme la chasuble de saint Regnobert à Bayeux, les reliques de Thomas Becket à Sens, ou des œuvres représentant prélats et clercs, tel le tableau de Saint-Trophime d’Arles ou celui lié à la consécration de la cathédrale de Châlons par le pape Eugène III. Des objets attachés au souvenir d’empereurs et de rois, et célébrés comme tels étaient également présents : ceux de Metz reflétant le souvenir de Charlemagne et confirmant le rôle symbolique de la cathédrale dans la célébration du culte d’un saint, d’un héros ou d’un personnage de légende. Plusieurs panneaux de retable illustraient les donations privées des confréries, membres du chapitre ou marchands, le miracle de saint Mitre d’Aix ou celui de la Sainte Chandelle d’Arras; les dons historiques étaient aussi présents avec le talisman de Charlemagne, donné à Reims par l’impératrice Eugénie. Dans la cathédrale, le grand décor était d’abord lié à des fonctions particulières : clôtures de chœur, jubés et retables. On sait que la plus grande partie de ces éléments a beaucoup souffert des vicissitudes de l’Histoire. Il est heureux que l’exposition ait pu en montrer quelques exemples avec des pièces célèbres des jubés de Bourges et de Chartres, avec l’admirable Sainte Cécile en terre cuite du Mans ou, plus encore, avec ces inédits remarquables que sont les éléments peints de la clôture de chœur de Nevers. Ces derniers illustrent l’importance du décor peint à la période gothique et mettent en lumière la personnalité d’un des premiers maîtres de la peinture française. Aux XVIe et XVIIe siècle, la grande peinture continua à être très présente dans les cathédrales, au point qu’en plus des tableaux des retables, on alla jusqu’à en accrocher dans les nefs et les transepts, sur les murs comme sur les piliers. Le XIXe siècle a renoué avec cette tradition, rapatriant des chef-d’œuvre des établissements religieux600x600_03 supprimés à la Révolution et lançant une politique ambitieuse de commandes. L’exposition a montré ainsi quelques tableaux de maîtres aussi célèbres que Philippe de Champaigne, Le Brun, Natoire, Delacroix ou Devéria. Il était également difficile d’évoquer la cathédrale sans ses orfèvreries, ses reliquaires et ses trésors. Certes ces derniers ont subi de grandes destructions et sont souvent reconstitués. Mais c’est sur ce point que l’exposition a voulu insister, toujours dans cette idée d’une histoire étendue de la cathédrale. Dans l’ancienne chapelle des archevêques de Reims, à côté de celui de la cathédrale, quelques-uns des plus grands trésors étaient présents, ainsi que des reliquaires commandés par les prélats du XIXe siècle aux plus illustres orfèvres. Ce XIXe siècle qui a tant pensé et tant écrit autour du thème de la cathédrale – comment ne pas se référer à Notre-Dame de Paris de Victor Hugo – a été évoqué par la vision romantique et rationaliste des écrivains et des architectes. Des tirages originaux des grands noms de la photographie patrimoniale ont en outre rappelé que dans le siècle de Chateaubriand et de Viollet-le-Duc ces procédés nouveaux sont venus servir une première idée d’un inventaire des grands monuments et donc des cathé-drales. Il eut été intéressant de joindre à cette réflexion quelques célèbres moulages d’œuvres monumentales de la collection des Monuments français, mais la place a manqué dans un lieu déjà habité par les éléments de Reims. On se devait enfin d’évoquer les actions engagées au XXe siècle, une période où, si on a peu construit de cathédrales, on s’en est toujours soucié. Ainsi a-t-on voulu présenter le domaine correspondant à l’une des créations majeures à cette époque : le vitrail. D’évidence, à la suite des destructions des guerres, les commandes publiques lui ont d’abord été consacrées. Et artistes et maîtres verriers ayant souvent compris le sens de cette action, ce sont bien quelques-unes des plus belles verrières modernes qui ont pris place dans les cathédrales. L’ouvrage qui a accompagné l’exposition souhaitait lui aussi souligner ce regard d’ensemble porté sur l’histoire des cathédrales en France. Cette France qui vivait avec ses cathédrales, comme toute l’Europe certes, mais où selon Willibad Sauerländer, comme nulle part ailleurs, elles ne font si visiblement et si mystérieusement partie de la spiritualité et de la poésie nationales. Sous le patronage de Jacques Le Goff, qui lui-même a livré ses réflexions sur cette relation privilégiée, plus de trente textes d’historiens, d’archéologues, d’historiens de l’art et d’ecclésiastiques ont été réunis sous la direction scientifique des commissaires Catherine Arminjon et Denis Lavalle et ont tenté de livrer une réflexion approfondie sur le phénomène historique et artistique que ces monuments phares représentent en France. On trouvera donc dans ces essais et ces études thématiques, un certain nombre de synthèses sur la cathédrale et ses architectes, dont le rôle émerge avec la grande construction gothique, ainsi que sur la place de ce monument dans les villes modernes vue par Thierry Paquot. Les grands thèmes ont été traités par Charles Bonnet, Roland Recht, Alain Erlande-Brandenburg, Dany Sandron, Françoise Perrot et Léon Pressouyre. L’insistance sur le « monument cathédrale » portée tout au long des XIXe et XXe siècles, le rôle des aménagements liturgiques, de la polychromie et des vitraux ainsi que les trésors sont également soulignés, souvent de façon inédite. En outre, la vie de la cathédrale, introduite par un texte sur l’histoire des diocèses, est complétée par une étude sur les résidences épiscopales, le rôle de la musique et des chœurs dont on sait qu’ils ont influencé fortement sur le mobilier et le cérémonial épiscopal qui règle toutes les activités des différents intervenants, tant du côté clergé que de celui des fidèles. Les cathédrales comme les églises étant affectées au culte, cette relation permanente avec l’Église est abordée par un représentant de l’épiscopat et de la commission nationale d’Art sacré qui traite le rôle spirituel de la cathédrale. Il a paru nécessaire aussi d’accueillir un certain nombre de textes liés aux actions des administrations de l’État : dépôts, enrichissement post-révolutionnaires, concessions, commandes de grands décors et de peintures sous la Restauration et politique du service des Monuments historiques. Il était logique que l’on veuille aussi insister sur des périodes et des décors 600x600_02_00qui ne tiennent pas au seul Moyen Âge. Pour les XVIIe et XVIIIe siècles, plusieurs études traitent des grandes peintures, des tentures de cœur, mais aussi des interventions architecturales dont certaines sont ici présentées pour la première fois. Le XIXe siècle, que beaucoup de textes abordent, est présenté de façon assez novatrice par Jean-Michel Léniaud dans un essai sur les avatars de cette « mythologie française » que furent les cathédrales. Le XXe siècle demandait une intervention particulière. Bien qu’il n’ait pas construit de cathédrale (celle d’Évry s’est voulue une exception marquante), son regard s’est souvent posé sur l’édifice. Pour des raisons administratives d’abord; les lois de 1905 et 1907 ont redéfini le statut et par là même la mise en place concrète des actions nécessaires pour continuer de faire vivre les cathédrales et les préserver. Monument national, la cathédrale a été ainsi l’un des grands bénéficiaires de nouveaux programmes de création mis en place tant par l’État que par le clergé. La synthèse de ces phénomènes a été donnée par Bruno Foucart. Aux textes a été ajouté le catalogue des œuvres exposées, dont le choix a été fait en fonction de leur histoire et de leurs relations avec la cathédrale: œuvres d’origine liées à différents commanditaires, œuvres provenant d’autres édifices rapatriées après la Révolution, trésors et reliquaires reconstitués, nouvelles commandes des XIXe et XXe siècles, de l’État comme du clergé. Les notices se veulent principalement historiques, avec des références bibliographiques sélectionnées dans cette optique. Le catalogue est complété par un répertoire de toutes les cathédrales et anciennes cathédrales de France. Le projet 20 siècles en cathédrales a bénéficié de l’intérêt, la connaissance et la participation tant des évêques que des responsables du clergé, des archives diocésaines, des commissions d’art sacré et de la commission pour l’enrichissement du patrimoine culturel. De même il n’aurait pas pu être mené à bien sans le soutien de tous les acteurs patrimoniaux, de la communauté scientifique et l’intérêt des artistes et des maîtres verriers : les autorisations et les prêts consentis ont largement conforté ceux qui avaient en charge de le mener à bien. Cette manifestation a été précédée par une large campagne de restaurations des œuvres prises en charge par les Monuments historiques. Au seuil du nouveau millénaire, s’interroger sur les cathédrales et vouloir en présenter une vision large à travers leur histoire et leur création, c’est bien s’interroger sur leur rôle dans notre civilisation. Pensée ambitieuse à laquelle l’exposition et cet ouvrage ont tenté de répondre sur quelques points.

[Catherine ARMINJON y Denis LAVALLE. «20 siècles en cathédrales. Note sur l’exposition tenue au Palais du Tau à Reims de juillet à décembre 2001», in Histoire urbaine (Paris), nº 7, 2003, pp. 189-194]